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Ivan Krastev : « Les Européens ne sont pas menacés par l’échec de leur modèle mais par ses succès »

Ivan Krastev est président du Centre pour les stratégies libérales, à Sofia, et membre de l’Institut autrichien des sciences humaines, à Vienne. Il a notamment publié Le Destin de l’Europe (Premier Parallèle, 2017) et, avec Stephen Holmes, Le Moment illibéral (Fayard, 2019).
Je continue de croire que la politique européenne se définit par un affrontement entre deux « rébellions contre l’extinction ». L’une est le fait des militants écologistes, terrifiés à l’idée que nous puissions détruire la vie sur Terre si nous ne changeons pas radicalement nos modes de vie. L’autre est le fait d’une droite acquise à la théorie du « grand remplacement », qui vit dans la peur de voir disparaître non pas la vie sur Terre, mais notre mode de vie, si aucune initiative radicale n’est prise aujourd’hui pour mettre un terme à ce qui, à ses yeux, le menace.
Nous vivons un moment de vertige. Et, comme Milan Kundera l’avait observé, « le vertige, c’est autre chose que la peur de tomber. C’est la voix du vide au-dessous de nous, qui nous attire et nous envoûte, le désir de chute dont nous nous défendons ensuite avec effroi ».
Tout au long des quinze dernières années, l’Union européenne a été déchirée par une succession de crises. La crise environnementale a obligé les Européens à imaginer un monde qui pourrait se passer d’eux. La crise financière les a plongés dans le doute : leurs enfants allaient-ils vraiment, à l’avenir, vivre dans de meilleures conditions que leur propre génération ? La crise migratoire a été à l’origine d’une peur panique identitaire.
La pandémie a mis au jour le versant sombre de la mondialisation, tout en persuadant de nombreux Européens que nous étions entrés dans une nouvelle ère autoritaire. Quant à la guerre en Ukraine, elle a mis un terme brutal à la croyance illusoire qu’une guerre majeure n’était plus possible sur le continent européen et que la sécurité de l’Union européenne était chose assurée.
Les cinq crises que je viens de mentionner ont plusieurs traits communs : elles étaient paneuropéennes ; elles ont été vécues comme des menaces existentielles ; elles ont affecté les politiques gouvernementales, et de façon spectaculaire ; et ces cinq crises ne se sont pas vu apporter de réponse. Tels des spectres moyenâgeux, elles font constamment leur retour ou ne s’éloignent jamais vraiment : la crise financière globale des années 2009-2010 est réapparue avec l’inflation des années 2022-2023 ; les chiffres des migrants en situation irrégulière restent importants. L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a abouti à l’invasion de l’Ukraine par cette même Russie en 2022 – une guerre totale décidée par Vladimir Poutine.
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